Episode Synopsis "Chroniques de Noördheven - 21 février"
Chroniques de Noördheven - 21 février Moi qui ai toujours peur de me perdre, j’ai une certaine appréhension à me promener dans ces vieilles rues étroites. Je me fais de vraies frayeurs quand je constate que la rue que j’emprunte ne mène pas du tout où je pensais aller. D’une promenade à l’autre, les artères semblent changer de place, les éclairages se modifient, l’entrée d’une rue est remplacée par une continuité de façades ; à l’inverse de la "Mohlenstrasse", la fameuse "ruelle ténébreuse" dans l'emblématique nouvelle de Jean Ray. Même la notion de haut et de bas est perturbée. Bien que cette partie de la ville soit enfoncée dans un vallon, on trouve des escaliers interminables qui montent bien trop haut. Il y a des ponts qui enjambent des rues tortueuses. On descend quelques marches qui nous font passer dans un petit tunnel sombre et on se retrouve au-dessus d’une rue. On marche dans une artère qui monte pour arriver sur une place en contrebas. C’est complètement dingue. C’est bien simple, il n’existe aucun plan du quartier. Comme si les cartographes de la ville avaient baissé les bras devant l’incohérence pratiquement non euclidienne de cet imbroglio de ruelles. Dans la catégorie des histoires absurdes, il y a celle de l’avion perdu. Elle m’est racontée par une dame qui habite en bordure du quartier et qui est, elle aussi, plutôt disserte sur les légendes de la ville. Il y a des années, venu dont ne sait d’où – il n’y a pas d’aéroport à Noördheven, je précise - un avion de tourisme a survolé le Labyrinthe. Juste au-dessus, les moteurs se sont coupés et il a plongé d’un coup, en plein milieu des rues. Le vacarme a été considérable : un grondement qui a fait vibrer toute la ville. Un bruit bien trop fort par rapport à la taille de l’appareil. Des témoins ont vu plusieurs maisons, heureusement vides, détruites et le sol qui se soulevait sur des dizaines de mètres comme un tapis qu’on secoue. L’avion n’a jamais été retrouvé ; les bâtiments écroulés étaient, le lendemain, parfaitement intacts. Comme si Le Labyrinthe avait fait disparaître toute trace de la catastrophe et s’était réparé tout seul. On dit que les passagers de l’avion, errent depuis lors comme des âmes en peine dans les rues, cherchant désespérément la sortie. J’ai un peu du mal à la croire, évidemment. Encore une autre légende urbaine un peu folle de Noördheven. Le vent semble se perdre lui aussi dans les rues du Labyrinthe. Accéléré ou ralenti, il prend des accents parfois graves, parfois cristallins. J’ai l’impression d’être entouré de présences éthérées, perdues tout comme moi et qui, dans une complainte, cherchent une sortie qu’elles ne trouvent pas. Un conseil : allez-y en journée. Notez qu’il n’y a probablement aucun risque à s’y promener la nuit mais la lumière chiche des lampadaires assombrit plus qu’elle n’éclaire les obscures ruelles et, à l’instar de vous-même finalement, votre imagination galope dans tous les sens et vous fait voir, dans les ombres dansantes, des formes effrayantes qui tressautent sur les façades. Comme autant d’étranges êtres difformes d’ombres et de lumières animés d’une vie propre. A une des sorties du Labyrinthe se trouve une place ronde – une "place métaphysique" comme l’appelle les habitants, mais j’expliquerai plus tard. Un espace dégagé, entouré par des arcades et d’anciennes colonnes avec, notamment, un bâtiment orné d’une grande horloge dont le claquement des aiguilles résonne dans l’air. Et au centre de la place se dresse la plus ancienne Tour Gardienne qui, de sa hauteur, domine tout le quartier. Un monstre de brique grise avec à ses pieds une porte monumentale. Je ne saurais dire pourquoi précisément mais même si elle était ouverte, je n’oserais jamais en franchir le seuil.